L’avion de chasse du futur sera issu d’un projet franco-allemand afin de développer un successeur au Rafale, mais aussi à l’Eurofighter Typhoon. Moins d’un an après le lancement du projet d’un avion de combat franco-allemand, Dassault Aviation et Airbus Defence & Space ont officialisé, mercredi 25 avril, leur partenariat pour développer le successeur au Rafale et à l’Eurofighter Typhoon à l’horizon 2040. Ce programme, dit SCAF (système aérien de combat du futur), intègre aussi des drones MALE (moyenne altitude, longue endurance), la flotte d’avions existants (qui sera encore en service après 2040), de futurs missiles de croisière et des drones évoluant en essaim, ont précisé les deux groupes. Cette annonce industrielle devrait être suivie, dès jeudi, d’un accord politique : la ministre des armées Florence Parly et son homologue Ursula Von Der Leyen devraient signer un document dit d' »expression du besoin », qui fixera les grandes lignes du besoin opérationnel identifié des deux côtés du Rhin.
Jusqu’à présent, c’est avec le Royaume-Uni que Paris avait avancé sur la question du futur avion de combat. Dans la droite ligne des traités de défense de Lancaster House, signés en 2010 par Paris et Londres, Dassault Aviation et le britannique BAE Systems avaient été chargés, fin 2014, d’un programme d’études sur le drone du combat du futur (FCAS). Le lancement d’un prototype devait même être acté cette année, avec un investissement prévu de 2 milliards d’euros. Si le ministère des armées assure que le projet se poursuit, il semble bel et bien encalminé, entre le peu d’empressement des Britanniques dans le contexte du Brexit, et la volonté française de convoler avec Berlin.
Le nouvel axe franco-allemand est-il pour autant pertinent ? A l’évidence, il présente des avantages indéniables. « L’Allemagne a bien plus de moyens financiers que le Royaume-Uni, souligne Jean-Pierre Maulny, directeur adjoint de l’Iris. L’alliance avec Berlin permet aussi d’éloigner le scénario catastrophe que serait l’achat du chasseur F-35 américain par l’Allemagne, projet défendu par certains au sein de l’état-major allemand ». Eloigner, mais pas annuler, rappellent certains. La ministre des armées Florence Parly avait d’ailleurs reconnu le problème de la politique d’exportation en février devant les députés de la commission de la défense. « Nous savons bien que si nous coopérons sur le plan industriel et que nous n’avons pas la possibilité de vendre ces équipements à d’autres, le modèle économique de ces coopérations ne pourra pas être assuré. C’est un problème que je qualifierais de politique, et qu’il va falloir régler si nous voulons continuer à aller de l’avant dans la coopération franco-allemande ». Le projet d’avion de combat franco-allemand se heurte pourtant à plusieurs obstacles. D’abord, Berlin a une politique d’exportation d’armement beaucoup plus restrictive que celle de Paris, ce qui pourrait limiter le potentiel export du futur appareil. Ces dernières années, l’Allemagne avait retardé certaines exportations d’armement français intégrant des éléments allemands. Un blocage en contradiction totale avec les accords Debré-Schmidt de 1971-1972, qui prévoient qu’aucun des deux gouvernements ne doit empêcher l’autre d’exporter des matériels d’armement développés en coopération.
L’autre problème, et peut-être le plus fâcheux, c’est que l’Allemagne n’a pas la même compétence que le Royaume-Uni sur les avions de combat. « Ce n’est pas parce que les Allemands peuvent mettre un peu plus d’argent qu’ils sont plus compétents », martelait ainsi le PDG de Dassault Aviation Eric Trappier le 28 février devant les députés de la commission de la défense. Avant de préciser sa pensée : « Force est de constater que du fait de l’après-guerre, leur compétence dans l’aviation de combat n’a pas été aussi forte que la nôtre, puisque nous avons exercé notre savoir au travers de toutes les générations de Mirage et du Rafale. Eux ont repris des compétences en coopérant avec les Anglais sur le Tornado et le Typhoon, mais les vrais leaders étaient chez BAE Systems, à Warton [Angleterre]. C’est pour cela qu’on avait plutôt été avec les Anglais pour préparer le futur ». Le chef d’état-major des armées François Lecointre lui-même avait tiré la sonnette d’alarme en novembre dernier devant la commission de la défense du Sénat : pour l’Allemagne, expliquait-il, « s’associer à la France pour créer un futur avion de combat vise à récupérer une compétence qui a été, jusqu’à présent, perdue. Quels avantages espérons-nous tirer du partage, avec l’Allemagne, de cette compétence ? Sous l’angle industriel, cette coopération est déséquilibrée, en raison des moyens colossaux que ce partenaire engage pour assurer la remontée en puissance de sa base industrielle et technologique de défense ». Dassault, qui rejette toute coopération européenne sans maître d’œuvre clair, considère donc qu’il est le candidat naturel au pilotage du programme de futur appareil franco-allemand. L’Allemagne est-elle prête à accepter ? Peut-être, mais elle ne le fera pas sans concessions. Certains responsables français mettent donc en garde contre une Allemagne qui utiliserait sa phénoménale puissance de frappe financière pour récupérer des technologies perdues de longue date. A trop vouloir approfondir le franco-allemand, Paris prend le risque se de priver de compétences clés des industriels britanniques, notamment dans les moteurs (Rolls-Royce), et le développement de drones et avions de combat (BAE Systems). Un pari du « tout franco-allemand » d’autant plus risqué que Berlin semble réclamer le leadership sur d’autres programmes militaires franco-allemands : les autres systèmes du programme SCAF (drones, ravitailleurs), un possible avion de patrouille maritime commun, mais aussi, selon L’Opinion, le futur char franco-allemand qui pourrait succéder au Leclerc et au Leopard.