Beaucoup avaient pensé qu’une présidence Biden signifierait un retour à des relations appréciatives et coopératives entre les États-Unis et leurs alliés et partenaires dans le monde. C’était certainement le cas de la France, avant que les États-Unis et la Grande-Bretagne ne sabordent un contrat de 66 milliards de dollars portant sur des sous-marins conventionnels français avec l’Australie, afin de réaliser leur propre vente de sous-marins à propulsion nucléaire à ce pays.
Pour être juste envers les Australiens, les spécifications techniques des sous-marins américano-britanniques sont supérieures à celles incluses dans le contrat de 2016 avec la France. De plus, l’augmentation du prix et le retard de l’accord initial avec Paris ont également contribué à la décision de l’Australie de se retirer de l’accord.
Mais la manière dont le nouvel accord AUKUS a été dévoilé a suscité l’indignation et un sentiment de trahison de la part du gouvernement français. Selon les médias, les responsables américains n’ont prévenu leurs homologues français que quelques heures avant que l’annonce ne soit rendue publique. « Un couteau dans le dos », voilà comment un fonctionnaire français a décrit la décision. Le président français Emmanuel Macron est allé jusqu’à rappeler les ambassadeurs de France aux États-Unis et en Australie en réaction. Et tout cela s’est produit dans le sillage du retrait décevant des États-Unis d’Afghanistan, qui a également soulevé des questions sur l’engagement des États-Unis envers leurs alliés.
La diplomatie bâclée qui entoure ces événements est décourageante, mais est-elle surprenante ? Pas pour nous. Nos récentes recherches montrent que pour les personnes qui élaborent et influencent la politique étrangère des États-Unis, les alliés ne sont pas toujours aussi importants que nous le pensons. En fait, nous constatons que, selon les circonstances, les experts en politique étrangère américaine peuvent considérer les alliés conventionnels comme inutiles. Le comportement récent de l’Amérique montre que le terme « allié » est dans l’œil de celui qui regarde – et parfois, cela se fait au détriment d’un allié plutôt que d’un autre.
Les alliés sont importants, mais pas toujours
Comment un accord sur les sous-marins a-t-il pu ouvrir une brèche aussi large dans les relations franco-américaines ? Notre récente expérience de sondage auprès d’experts américains en politique étrangère permet de répondre à cette question.
Entre octobre et décembre 2020, nous avons interrogé près de 700 personnes travaillant au Congrès, dans diverses agences fédérales qui s’occupent d’affaires internationales, dans des groupes de réflexion sur la politique étrangère et dans des universités américaines en tant que spécialistes des relations internationales. Nous voulions d’abord savoir si les répondants modifieraient leurs préférences politiques en fonction de la manière exacte dont nous décrivions la contrepartie avec laquelle les États-Unis s’engagent.
Pour saisir ces préférences, nous avons demandé aux personnes interrogées si elles étaient favorables ou opposées à des contreparties internationales qui combattent les adversaires des États-Unis au Moyen-Orient. Les personnes interrogées ont reçu l’un des quatre scénarios pour caractériser la contrepartie : allié conventionnel, allié non conventionnel, acteur non étatique ou simplement « acteur ». Nous avons délibérément gardé les adversaires et les contreparties anonymes afin de ne pas influencer nos répondants.
Nos résultats montrent que les élites de la politique étrangère américaine considèrent les alliances conventionnelles comme le type de relation le plus important. Bien que la formulation de la question soit restée exactement la même, la façon dont nous avons décrit la contrepartie a suscité différents degrés de soutien de la part des répondants. Parmi les personnes interrogées au sujet d’un « allié conventionnel », 80 % ont déclaré qu’elles étaient favorables à ce que les États-Unis soutiennent leurs homologues qui luttent contre leurs adversaires au Moyen-Orient. Lorsqu’on les interroge sur un « allié non conventionnel », le soutien tombe à 66 %.
Quand les alliés ne comptent pas
Dans une deuxième expérience, nous avons cherché à savoir si les personnes interrogées donneraient la priorité aux relations des États-Unis avec leurs alliés conventionnels. Nous leur avons d’abord présenté de manière aléatoire l’un des quatre scénarios suivants. Le groupe de base a reçu la question suivante : « Il y a eu des discussions aux États-Unis sur le soutien des acteurs étrangers pour faire avancer les intérêts de sécurité des États-Unis à l’étranger. Êtes-vous favorable ou opposé à ce que les États-Unis poursuivent de telles initiatives ? »
Un deuxième scénario comprenait la note suivante : « Certains alliés du traité, cependant, sont critiques à l’égard de ces initiatives. » Nous nous attendions à trouver un soutien moindre à l’action proposée si certains alliés du traité s’y opposaient. Mais il n’y avait pas de différences statistiques entre les scénarios qui incluaient la note sur les alliés critiquant les initiatives et ceux qui ne l’incluaient pas, quelle que soit la façon dont nous caractérisions l’acteur étranger. En d’autres termes, la position des alliés du traité n’a pas eu d’importance pour nos répondants une fois qu’on leur a dit que les intérêts de sécurité des États-Unis à l’étranger étaient en jeu.
Remettre le brouhaha de l’AUKUS en perspective
Pour emprunter une réplique de « Cool Hand Luke », « Ce que nous avons ici, c’est un défaut de communication ». Il semble qu’il y ait eu effectivement une rupture de communication entre les États-Unis, l’Australie et la France au sujet de l’accord sur les sous-marins. Bien que l’aspect visuel de la situation aurait pu être mieux géré, ces données mettent en évidence les compromis que les experts politiques font dans des situations réelles. Notre recherche confirme l’importance des alliés des traités pour les experts en politique étrangère des États-Unis. Elle montre également que ce soutien est conditionnel. Les intérêts de la sécurité nationale restent la priorité absolue pour ces experts en politique étrangère. Par conséquent, ils pensent que les alliés des traités peuvent être mis de côté pour les réaliser.
Les États-Unis ont fait des choix similaires dans le passé. Sous l’administration Trump, les États-Unis se sont associés à des groupes armés kurdes en Syrie pour combattre l’État islamique. Cette décision a été prise au détriment de la Turquie, un allié de longue date de l’OTAN, qui mène son propre combat contre les militants kurdes dans la région depuis des décennies. Et lorsque les États-Unis ont annoncé leur intention de se retirer de Syrie en octobre 2019, beaucoup à Washington ont décrié cette décision, arguant que les États-Unis abandonnaient leurs « alliés kurdes syriens. » Ce choix de mots, bien sûr, n’a guère été bien accueilli à Ankara.
Pour être juste, les relations de Washington avec la Turquie sont en pagaille depuis un certain temps (les S-400, quelqu’un ?). Il est donc assez facile pour les États-Unis de donner la priorité à pratiquement n’importe quel autre intérêt sur la préservation de leur alliance avec Ankara. La relation avec la France, cependant, ne repose pas seulement sur les obligations du traité mais aussi sur des objectifs et des valeurs partagés. C’est précisément la raison pour laquelle l’accord AUKUS place les relations des États-Unis avec la France dans une situation difficile.
Mais les États-Unis ont amplement l’occasion de limiter les dégâts. Tout comme la hiérarchisation des intérêts de sécurité nationale a conduit Londres, Canberra et Washington à suivre chacun leur propre voie sur la question des sous-marins opérant dans le Pacifique, laissant Macron en colère à l’Élysée, elle continuera également à rapprocher les quatre pays sur les questions plus importantes des objectifs que servent ces sous-marins.
D’une part, Paris et Canberra collaborent depuis longtemps sur les questions de sécurité dans l’Indo-Pacifique, une région que la France considère comme prioritaire et au « cœur de la vision française d’un ordre multipolaire stable ». Les nombreux territoires français dispersés dans cette région constituent la deuxième plus grande zone économique exclusive du monde et abritent 1,6 million de citoyens français. Même si les forces navales françaises ont récemment accéléré le rythme de leurs opérations dans l’Indo-Pacifique, la France ne dispose pas à elle seule des capacités nécessaires pour assurer la sécurité d’une zone géographique aussi étendue. Par conséquent, la stratégie française s’est concentrée sur la construction de partenariats de sécurité soutenant divers accords multilatéraux dans la région.
Malgré l’atteinte à la fierté française, les États-Unis et l’Australie restent donc des partenaires essentiels pour la France dans l’Indo-Pacifique. Les intérêts communs en matière de sécurité nationale rendent cette coopération essentielle pour toutes les parties, même si les prochaines séries de réunions risquent d’être moins collégiales que par le passé.
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