Et finalement, contre toute attente, la France a accepté de jouer crânement sa chance en Belgique pour imposer le Rafale face au favori, le F-35 de Lockheed Martin, et l’Eurofighter (BAE Systems, Airbus et l’italien Leonardo – ex-Finmeccanica). Ce n’était pas acquis (Boeing et Saab ont déjà déclaré forfait), car personne ne croit véritablement en France aux chances du Rafale en Belgique face au grandissime favori, le F-35 pour remplacer la flotte de 54 F-16 (+ 5 en réserve), dont la moyenne d’âge s’élève à 32 ans. « Le gouvernement français fera une proposition au gouvernement belge pour le renouvellement de sa flotte de combat », a pourtant annoncé jeudi la ministre des Armées, Florence Parly en marge d’une réunion de l’Union européenne à Tallinn. Aussi, Paris a sorti la seule carte, qui puisse faire hésiter Bruxelles, la carte politique (partenariat stratégique avec la France dans le cadre de l’Europe de la défense). Mais ce n’est pas sûr que la Belgique accepte cette offre non sollicitée de la France, qui ne répond pas formellement à l’appel d’offres (RFGP ou Request for Government Proposal) lancé le 17 mars dernier par Bruxelles.
Dans le cadre de l’offre française, la ministre des Armées, Florence Parly, a proposé à son homologue belge Steven Vandeput « la mise en place d’un partenariat approfondi » entre les deux pays, « pour répondre au besoin exprimé par l’armée de l’air belge », a expliqué le ministère des Armées dans un communiqué. La France propose un « partenariat structurant », qui pourrait prendre la forme d’un accord intergouvernemental. Selon le ministère, ce partenariat comprendrait la fourniture du Rafale. Plus précisément, la Belgique prendrait part à la définition du standard de l’avion de combat tricolore ainsi qu’aux modernisations de l’appareil. Ce partenariat comprend également « une coopération approfondie entre nos deux armées de l’air dans les domaines opérationnels, de formation et de soutien, ainsi qu’une coopération industrielle et technique impliquant des entreprises des deux pays ». « Cette proposition d’un partenariat global allant bien au-delà des seuls équipements militaires consoliderait la relation ancienne et profonde entre nos deux pays, a estimé le ministère de la Défense. Elle contribuerait au renforcement de l’Europe de la Défense et de son autonomie stratégique, à une période où celle-ci est plus que jamais nécessaire ».
Paris et Bruxelles ont déjà conclu un partenariat en juin dans le secteur des blindés, prévoyant l’acquisition de près de 500 véhicules de combat français par l’armée belge et une coopération dans les domaines de la formation, l’entraînement et l’entretien. La Belgique a lancé le 17 mars dernier une procédure d’achat pour 34 avions de combat en vue de remplacer ses vieux 54 F-16 (Lockheed Martin) à l’horizon 2023-2028, un marché estimé à 3,6 milliards d’euros. Le délai pour le dépôt des offres s’achève ce jeudi à minuit. Il restera trois candidats en compétition, Lockheed Martin avec le F-35, le consortium européen Eurofighter avec le Typhoon et finalement Dassault, tout près de jeter l’éponge, avec le Rafale.
Les autorités belges estiment le coût de l’acquisition des 34 nouveaux avions de combat à 3,57 milliards d’euros, auquel il faut ajouter 1,2 milliard pour des activités annexes comme l’entretien ou la formation des techniciens et pilotes. Sur les 40 ans de vie évaluée pour les futurs avions de chasse, la facture devrait atteindre les 14,9 milliards d’euros. Pays membre de l’Union européenne et cœur de l’Europe, la Belgique devrait pourtant à nouveau choisir le F-35, pourtant victime de déboires technologiques et financiers à répétition. Pourquoi Bruxelles tournerait une nouvelle fois le dos à la préférence européenne? Grâce à un critère déterminant qui serait inscrit dans le cahier des charges pour le remplacement des F-16 mais qui n’a pas été précisé dans les documents publics : la capacité d’emporter une bombe nucléaire de fabrication américaine. La Belgique assume cette mission depuis des décennies, mais le nombre s’est réduit à une seule: celle confiée aux F-16 stationnés à Kleine-Brogel (F-16A), qui sont capables d’emporter et de larguer une bombe nucléaire américaine B-61. En tout cas, Bruxelles qui souhaite la conserver, l’a fait savoir. « Au sein de l’Alliance, la Belgique a accepté, il y a cinq décennies déjà, que ses avions de combat possèdent aussi bien une capacité conventionnelle que nucléaire. Tenant compte d’une analyse réalisée en commun de la menace globale, l’OTAN nous demande de continuer à maintenir nos avions de combat disponibles pour d’éventuelles missions de cette nature. Nous comptons bien remplir toutes nos obligations dans ce cadre », a expliqué en janvier le ministre belge des Affaires étrangères, Didier Reynders. Cela risque de biaiser la compétition et donc de favoriser le F-35 américain face à ses quatre concurrents : F/A-18E/F Super Hornet, Rafale F3R, JAS-39E/F Gripen et Eurofighter Typhoon. Seul le F-35 sera capable d’assurer la mission d’attaque nucléaire en emportant une bombe à gravitation américaine de type B-61. Il est conçu comme étant à double capacité (conventionnelle et nucléaire) et devrait pouvoir emporter une bombe B-61 dans une phase ultérieure de son développement, sans doute à partir de 2022. Ce qui n’est pas le cas pour les autres prétendants au marché belge, à l’exception toutefois du Rafale. Pas sûr pour autant que Washington partage les codes de mise à feu et de largage des B-61. Et donc autorise le Rafale à porter la bombe B-61.
Photo: Dassault.