Analyse stratégique de l’utilisation de l’aviation irakienne durant l’opération Tawakalna Ala Allah (1988) lors de la guerre iran-Irak
L’opération Tawakalna Ala Allah : contexte militaire et objectif stratégique
L’opération Tawakalna Ala Allah, menée par l’Irak au printemps 1988, s’inscrit dans les dernières offensives de la guerre Iran-Irak (1980-1988). Cette manœuvre terrestre et aérienne coordonnée s’est déroulée sur le front sud, dans la région d’al-Faw, où l’armée iranienne s’était solidement installée depuis 1986. L’objectif irakien était clair : reprendre les territoires occupés et imposer une supériorité tactique en vue d’une fin de conflit favorable.
Le contexte stratégique était tendu. Après huit années de combats d’usure, Bagdad devait inverser le rapport de force. L’opération s’est appuyée sur une doctrine de guerre combinée : attaque terrestre mécanisée, appui d’artillerie massif, et aviation tactique intégrée dès les premières heures. L’armée de l’air irakienne – Al Quwwat al-Jawwiyya al-‘Iraqiyya – a joué un rôle central dans la réussite de cette offensive, mobilisant des moyens importants et une coordination inédite.
L’objectif opérationnel ne se limitait pas à une simple reconquête de terrain. Il s’agissait d’infliger des pertes décisives à l’armée iranienne, de désorganiser son dispositif logistique, et d’empêcher toute contre-offensive rapide. Ce type d’opération combinée annonçait un changement de méthode dans la guerre Iran-Irak, avec une militarisation accrue de l’aviation tactique dans les manœuvres au sol.
Les résultats tactiques de l’opération Tawakalna Ala Allah ont marqué un tournant. Pour la première fois depuis 1986, les forces iraniennes ont été contraintes à une retraite ordonnée, laissant derrière elles un volume important d’équipements lourds, dont des chars, des pièces d’artillerie, et des dépôts de munitions. L’usage coordonné des avions de combat dans cette opération a permis à l’Irak de démontrer une capacité d’action offensive structurée, qui s’inscrivait dans la dernière phase de la guerre Iran-Irak.
L’utilisation des avions de combat irakiens pendant l’offensive
L’aviation irakienne a mobilisé plus de 250 sorties aériennes par jour lors de l’opération Tawakalna Ala Allah. Cette intensité a été rendue possible par l’engagement coordonné de plusieurs types d’appareils. L’Irak disposait à cette date d’un parc aérien diversifié, issu principalement de l’Union soviétique et de la France, réparti en plusieurs catégories de missions : appui au sol, interception, bombardement et reconnaissance.
Avions d’appui tactique
Les Su-22M Fitter ont été engagés massivement pour l’appui au sol. Capables d’emporter jusqu’à 4 000 kg de bombes, roquettes et missiles air-sol, ils ont opéré en moyenne entre 80 et 100 sorties quotidiennes. Leur mission principale : neutraliser les positions d’artillerie iraniennes, frapper les lignes de ravitaillement et appuyer les chars T-72 et BMP-1 sur le terrain.
Les Mirage F1EQ, équipés de bombes lisses et de pods de guidage laser ATLIS, ont joué un rôle essentiel dans les frappes de précision, notamment sur les ponts, les dépôts logistiques et les positions radar iraniennes. Ces appareils ont également été utilisés pour des missions de bombardement en profondeur jusqu’à 200 km derrière les lignes ennemies.
Missions de supériorité aérienne
Les MiG-23ML et MiG-25PDS ont assuré la couverture aérienne, interceptant les quelques tentatives de réaction des F-4E Phantom II iraniens. Bien que la chasse iranienne ait été affaiblie à cette période, quelques duels ont été rapportés au-dessus de Bassorah. Les MiG-25 ont été utilisés à haute altitude pour décourager toute reconnaissance adverse.
L’Irak disposait également de MiG-29A, livrés par l’URSS en 1987. Leur impact direct durant cette opération reste marginal, ces appareils étant encore en phase d’intégration. Cependant, leur présence a constitué un levier dissuasif dans la hiérarchie aérienne régionale.
Soutien électronique et coordination
Des MiG-21MF modifiés ont été déployés avec des pods de brouillage pour perturber les communications ennemies. Par ailleurs, l’aviation irakienne avait amélioré sa coordination interarmes grâce à des officiers de liaison intégrés dans les unités terrestres mécanisées. Cela a permis une synchronisation efficace des frappes aériennes avec les progressions des divisions blindées.
La capacité de l’armée de l’air à maintenir un rythme soutenu a reposé sur des infrastructures opérationnelles bien préparées. Les bases d’al-Rasheed et de Qayyarah avaient été renforcées pour supporter un taux de rotation élevé. Chaque avion de chasse recevait un réarmement complet en moins de 40 minutes, grâce à des équipes logistiques formées selon des normes soviétiques.
Bilan stratégique et conséquences sur la guerre Iran-Irak
L’opération Tawakalna Ala Allah a permis à l’Irak de reprendre le contrôle de la presqu’île d’al-Faw. Plus de 9 000 soldats iraniens ont été capturés. Le matériel saisi est estimé à 300 chars, 400 pièces d’artillerie et plusieurs milliers de tonnes de munitions. Ces chiffres confirment l’impact direct de la supériorité aérienne dans le déroulement de l’opération.
Le rôle de l’aviation de combat n’a pas été secondaire. Les frappes coordonnées ont permis de neutraliser des batteries SAM iraniennes, de couper les lignes de ravitaillement et d’assurer une supériorité tactique sur l’ensemble du front sud. Cette opération a été suivie par d’autres offensives similaires jusqu’à la mi-juillet 1988, où l’Iran a accepté le cessez-le-feu sur la base de la résolution 598 de l’ONU.
La réussite de l’opération a aussi renforcé la doctrine militaire irakienne : emploi intensif de l’aviation tactique, coordination interarmes, saturation des positions ennemies par des frappes massives, puis exploitation rapide par des unités mécanisées. L’aviation a servi d’outil d’écrasement psychologique autant que de levier opérationnel.
En parallèle, cette offensive a exposé les faiblesses logistiques et doctrinales de l’aviation iranienne. Faible disponibilité des F-5E, obsolescence d’une partie de la flotte, manque de pièces détachées, et absence d’appui électronique efficace ont pesé lourd. L’Iran s’est retrouvé incapable de rivaliser dans les airs, ce qui a pesé sur la capacité de résistance au sol.
D’un point de vue économique, cette opération a coûté plusieurs centaines de millions d’euros équivalents, notamment en carburant aérien, maintenance, et munitions guidées. L’usage des bombes à guidage laser importées de France ou produites localement était estimé à plus de 5 000 unités sur l’ensemble des offensives de 1988, avec un coût unitaire dépassant 10 000 euros pièce.
Enfin, sur le plan stratégique, l’opération Tawakalna Ala Allah a illustré l’usage intensif et structuré de l’avion de chasse comme multiplicateur de force dans un conflit conventionnel prolongé. Elle reste aujourd’hui un cas d’école dans l’emploi de l’aviation tactique régionale.
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