Le Moyen-Orient devient un laboratoire de l’IA militaire, exposant civils et États à des risques accrus par l’usage incontrôlé des armes autonomes.

Depuis 2020, des drones autonomes ont été utilisés sur les champs de bataille du Moyen-Orient, signalant l’entrée de l’intelligence artificielle dans la guerre régionale. Cette évolution s’ancre dans des conflits asymétriques, urbains et maritimes, où l’IA promet précision et rapidité tout en posant de graves questions éthiques. Israël, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, l’Iran et la Turquie accélèrent leur militarisation de l’IA. L’absence de régulation interne ou internationale fait craindre une généralisation des armes autonomes, augmentant les dangers pour les civils et prolongeant les conflits.

Le Moyen-Orient, nouveau théâtre d’essai pour l’IA militaire

La frappe présumée du drone Kargu-2 en 2020 a marqué un tournant dans l’histoire militaire. Selon un rapport des Nations Unies, le drone turc aurait attaqué sans intervention humaine directe. Bien que cette affirmation reste débattue, elle souligne l’évolution rapide de l’IA militaire dans les conflits régionaux.

En 2024, selon l’Armed Conflict Location & Event Data Project (ACLED), 4 des 11 conflits mondiaux les plus extrêmes se situent au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Cette région regroupe aussi 6 pays sur 16 classés comme zones de guerre actives. Ces données confirment que l’introduction de systèmes autonomes dans un environnement déjà instable amplifie les risques.

Les guerres du Moyen-Orient, souvent limitées à des engagements asymétriques et tactiques, rendent l’intelligence artificielle particulièrement attractive. Par exemple, les drones turcs Bayraktar TB2, utilisés en Libye, en Syrie et en Azerbaïdjan, coûtent environ 4 à 5 millions d’euros pièce, soit 10 fois moins qu’un chasseur F-16. Cette différence budgétaire permet aux acteurs secondaires de mener des frappes précises et rapides sans engager de grandes forces conventionnelles.

La dynamique régionale, combinée à l’utilisation croissante de l’IA, crée un environnement où les frappes sont plus fréquentes, plus discrètes et souvent sans validation humaine directe. Cela accroît mécaniquement le risque de violations du droit international humanitaire, déjà peu respecté localement.

L'IA militaire au Moyen-Orient : vers une guerre automatisée ?

Les caractéristiques géographiques qui favorisent l’usage de l’IA militaire

Le Moyen-Orient présente une géographie particulièrement adaptée aux technologies d’intelligence artificielle militaire. De vastes déserts, des steppes arides et des environnements maritimes simplifient la détection de cibles pour les algorithmes.

Dans des opérations en Irak, en Syrie et au Yémen, le Project Maven du Pentagone a permis aux forces américaines d’identifier rapidement des cibles militaires sur des terrains dégagés. Les algorithmes, optimisés pour reconnaître des silhouettes de véhicules ou de batteries anti-aériennes, fonctionnent mieux dans des espaces peu encombrés.

En mer, des zones stratégiques telles que le détroit de Bab el-Mandeb ou le détroit d’Ormuz sont également propices à l’usage d’IA pour la détection de menaces. L’Iran et les Houthis utilisent déjà des drones pour perturber les flux maritimes. Selon le Centre d’études stratégiques et internationales (CSIS), plus de 21 attaques de drones maritimes ont été documentées dans la région entre 2021 et 2023.

La combinaison de la topographie désertique et des zones maritimes congestionnées donne aux acteurs régionaux la possibilité d’améliorer considérablement leur efficacité militaire en utilisant des systèmes autonomes relativement basiques et peu coûteux.

Le défi de l’urbanisation dans la guerre par l’IA

Le Moyen-Orient est également l’une des régions les plus urbanisées du monde arabe. Les combats récents à Aleppo, Raqqa, Mosul et Sirte ont montré que la guerre urbaine impose des contraintes majeures aux armées traditionnelles.

L’IA militaire promet d’apporter des solutions : reconnaissance rapide d’ennemis dans des environnements complexes, détection de pièges, surveillance continue grâce à des robots autonomes. Par exemple, le déploiement de micro-drones capables de naviguer dans les ruines urbaines réduit les risques pour les troupes.

Cependant, l’urbanisation complique la tâche des algorithmes. La présence de nombreux civils, de sources thermiques multiples et d’obstacles visuels réduit la fiabilité des reconnaissances automatisées. Selon des chercheurs du MIT, les systèmes de reconnaissance faciale utilisés dans des environnements urbains densément peuplés présentent jusqu’à 35 % d’erreurs d’identification.

De plus, le recours à l’analyse comportementale prédictive sur des bases ethniques ou religieuses, courant dans la région, soulève de graves inquiétudes éthiques. Cette approche risque d’exacerber les tensions communautaires, en ciblant injustement certaines populations.

Les États du Moyen-Orient accélèrent la militarisation de l’IA

Parmi les États les plus avancés, Israël reste en tête. Fort d’une industrie technologique représentant environ 18 % de son PIB et d’une coopération étroite entre armée et start-ups, Israël a lancé dès 2021 des opérations intégrant largement l’IA militaire.

Lors de l’opération « Gardien des Murs », Israël a utilisé des systèmes comme Lavender pour analyser et hiérarchiser les cibles humaines. Des sources comme +972 Magazine révèlent que l’application « Where’s Daddy? » a conduit à des frappes contre des résidences civiles, parfois basées sur des critères de présomption faible.

L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis investissent également massivement. En 2023, Riyad a consacré près de 20 milliards d’euros à l’IA, selon Gulf Intelligence. Ces pays utilisent l’IA pour la surveillance interne, la cybersécurité et développent des munitions rôdeuses (loitering munitions), capables de patrouiller de façon autonome.

En revanche, l’Iran, frappé par des sanctions économiques sévères, mise sur l’IA militaire pour moderniser ses missiles et drones. Les versions améliorées du drone Shahed-136, utilisées en Ukraine, témoignent de cette stratégie. L’intégration d’algorithmes d’optimisation de trajectoire et d’identification de cibles augmente leur portée et leur létalité.

Enfin, la Turquie reste en retrait dans l’IA avancée, concentrant ses efforts sur la production de drones classiques. Bien qu’elle exporte massivement ses UAV, notamment vers l’Afrique et l’Asie centrale, Ankara investit peu dans la recherche fondamentale sur l’IA.

L'IA militaire au Moyen-Orient : vers une guerre automatisée ?

Les conséquences géopolitiques et militaires de l’IA militaire au Moyen-Orient

L’extension de l’IA militaire dans la région modifie profondément l’équilibre stratégique. Les systèmes autonomes abaissent le coût humain et politique des interventions, rendant la guerre plus fréquente et plus durable.

La prolifération de technologies IA vers des acteurs non étatiques est également préoccupante. Les drones bon marché, armés d’algorithmes basiques, sont déjà accessibles sur les marchés noirs régionaux. L’expérience montre qu’environ 30 % des drones utilisés par des groupes armés au Moyen-Orient depuis 2020 ont été assemblés localement avec des composants importés commercialement.

Cela risque de neutraliser l’avantage technologique initial des États, rendant les conflits plus imprévisibles et plus violents. De plus, sans mécanismes de régulation solides, les erreurs de ciblage pourraient accroître la souffrance civile et saper davantage les normes humanitaires.

Enfin, l’absence d’une instance régionale de contrôle crédible aggrave cette dynamique. La motion autrichienne de 2023 pour un encadrement international de l’IA militaire a été majoritairement rejetée par les grandes puissances de la région. L’absence d’engagement au niveau local indique que seuls des accords bilatéraux ou de petits groupements pourraient freiner l’escalade.

Nous sommes le spécialiste du vol en avion de chasse.