Le réarmement européen relance la compétition entre le Rafale, le Gripen et l’Eurofighter. Analyse technique et stratégique du marché des avions de chasse.
Le réarmement européen est une réalité budgétaire et opérationnelle. L’invasion de l’Ukraine a produit un effet de choc durable. L’Allemagne a annoncé 100 milliards d’euros pour ses forces armées. La Pologne a engagé plus de 45 milliards d’euros dans des acquisitions massives. Les États baltes, la Finlande, les Pays-Bas ou encore l’Espagne revoient à la hausse leurs objectifs capacitaires. Cette dynamique ouvre un marché estimé à plus de 250 milliards d’euros d’ici 2035. Au cœur de ces dépenses : l’avion de chasse multirôle. Trois appareils européens se disputent ces investissements : le Dassault Rafale, le Saab Gripen E/F et l’Eurofighter Typhoon. Derrière ces choix, il y a des logiques industrielles, stratégiques et diplomatiques bien différentes. Ce contexte impose d’examiner sans filtre les rapports qualité/prix, les performances, les compatibilités OTAN, mais aussi les intérêts politiques croisés qui conditionnent les achats. L’armement européen n’échappe pas aux rapports de force et aux dépendances technologiques. Le marché ne sera ni homogène ni rationnel. Il sera fragmenté, opportuniste et, souvent, politique.
Le Rafale : une montée en puissance à l’export, mais un coût élevé
Le Dassault Rafale a clairement changé de statut depuis 2015. Longtemps cantonné aux seules forces françaises, il a séduit des clients majeurs : Égypte (54 unités), Inde (36 unités), Qatar (36), Grèce (24), Croatie (12), Émirats arabes unis (80). Le contrat avec Abou Dhabi a atteint 16 milliards d’euros, soit 200 millions d’euros par appareil, armement et maintenance inclus.
Pour les industriels français, ce succès repose sur une intégration complète : cellule, moteurs (Safran M88), radar (Thales RBE2 AESA), guerre électronique (SPECTRA), armements (MBDA). Aucun sous-système ne dépend des États-Unis. Ce niveau d’autonomie plaît à certains pays. Mais le prix unitaire du Rafale sans armement dépasse 100 millions d’euros, ce qui en fait un appareil dispendieux pour des armées moyennes.
En Europe, seuls la Grèce et la Croatie l’ont commandé. L’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, la Belgique, la Finlande ou la Pologne ont écarté l’option Rafale, préférant le F-35 ou l’Eurofighter. Le Rafale souffre aussi d’un retard dans sa connectivité OTAN, bien que des efforts soient en cours sur le standard F4 (liaisons L16 et L22, traitement de données, communications interarmées).
Militairement, le Rafale est un appareil équilibré : rayon d’action de 1 800 km en pénétration basse altitude, charge utile de 9 500 kg, double capacité nucléaire et conventionnelle, supériorité dans l’interception à moyenne distance. Mais dans un contexte de compétition budgétaire, son prix reste un frein pour les armées qui cherchent un bon ratio capacité/coût. L’armement européen n’achètera pas tous du haut de gamme.
L’Eurofighter Typhoon : un programme divisé, mais une intégration OTAN avancée
Le Eurofighter Typhoon, coproduit par Airbus, BAE Systems et Leonardo, reste un acteur central. Il équipe l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, le Royaume-Uni, l’Autriche, mais aussi l’Arabie saoudite, le Qatar, Oman et le Koweït. Plus de 570 exemplaires sont en service dans 9 pays, avec une cadence de production maintenue jusqu’à 2030.
L’Eurofighter bénéficie d’un ancrage institutionnel OTAN fort. Il est pleinement interopérable avec les systèmes américains, utilise des pods Litening, les missiles Meteor, Storm Shadow et Brimstone. Il est aussi adapté à la défense aérienne, avec des radars AESA (CAPTOR-E) en cours de standardisation. Il dépasse Mach 2, affiche un rayon d’action de 1 390 km, et peut embarquer jusqu’à 7 500 kg d’armement.
Sur le plan industriel, l’Eurofighter souffre de sa gouvernance à quatre. Chaque modernisation passe par des compromis industriels, ce qui ralentit les évolutions. Le PIRATE IRST reste inférieur à celui du Rafale, et la guerre électronique dépend encore de capteurs éclatés, moins intégrés que SPECTRA. Les retards du radar CAPTOR-E ont freiné plusieurs campagnes à l’export.
Côté prix, les derniers lots vendus tournent autour de 95 à 110 millions d’euros l’unité sans armement. Moins cher que le Rafale, mais plus lourd en coûts de maintenance. Le Royaume-Uni pousse le standard P3E, qui vise à rattraper les lacunes numériques et assurer une compatibilité accrue avec le F-35. Il reste un choix logique pour des pays qui veulent rester dans l’orbite technologique anglo-américaine. L’armement européen tend à préserver ce socle OTAN, ce qui avantage l’Eurofighter dans certains cas.
Le Gripen : une offre compétitive pour les armées à budget contraint
Le Saab JAS-39 Gripen E/F est le plus léger des trois. Monomoteur (General Electric F414G), il mise sur la polyvalence avec des coûts réduits. Le prix unitaire du Gripen E est estimé à 60 à 70 millions d’euros, avec des coûts d’exploitation inférieurs à 4 000 euros par heure de vol, contre 15 000 pour le Rafale et 18 000 pour l’Eurofighter.
Il embarque un radar AESA Raven ES-05, un système de guerre électronique passif de nouvelle génération, un datalink avancé, et des armements occidentaux standards (Meteor, IRIS-T, GBU-39). Son rayon d’action est de 1 500 km avec ravitaillement, sa masse maximale au décollage est de 16 500 kg. Il peut opérer depuis des routes secondaires, avec des équipes au sol réduites.
Mais ses parts de marché restent faibles. En Europe, seul la Suède l’emploie. La Hongrie et la République tchèque utilisent l’ancienne version C/D. Le contrat avec la Finlande a été perdu au profit du F-35. La Croatie a préféré le Rafale. La Suisse a écarté Saab dès les premières évaluations. Le poids politique du constructeur suédois est limité, et Saab souffre d’un manque de relais diplomatiques.
Cependant, plusieurs pays d’Europe centrale cherchent un avion de chasse peu coûteux à exploiter, pouvant s’intégrer dans une défense aérienne nationale sans dépendance excessive. Saab mise sur la modularité, la maintenance allégée, et un format adapté aux doctrines territoriales. Si le réarmement européen se tourne vers la défense de proximité, le Gripen peut regagner en compétitivité. Mais les pressions américaines et les financements FMS biaisent souvent les arbitrages.
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